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Histoire


Ça bouge dans le monde de l'anche libre. Depuis quelques années, l'accordina fait parler de lui. Longtemps passé inaperçu, ignoré des accordéonistes, inconnu du grand public, cet hybride entre accordéon et harmonica est né de l'imagination d'André Borel, vers la fin des années 1930. Aujourd'hui, il est à nouveau fabriqué et fait l'objet d'un curieux engouement, allant à l'encontre de la fatalité qui a toujours entouré son histoire.
 

marcel dreux accordinas

L’accordina

 

Etrange pont jeté entre l’accordéon et les instruments à vent, l’accordina apparaît aujourd’hui à certains (peut-être selon un effet de mode) comme un instrument mythique créé pour le jazz. L’histoire de ce petit « accordéon à bouche » – bien que difficile à reconstituer – nous prouve pourtant le contraire. Imaginé par André Borel dans les années 1930, l’accordina est breveté en décembre 1943. Il emprunte à l’accordéon ses anches libres et son clavier chromatique (44 notes, 3 octaves et demi). Il tient de l’harmonica le souffle produit par le musicien et le principe de ses deux volets latéraux qui permettent de moduler le son, comme le fait l’harmoniciste avec ses mains. Il faut attendre les années 1950 pour le voir fabriqué, au moment où Borel crée sa société commerciale (dissoute en 1954). En 1950, il donne un concert radio-diffusé d’accordina, avec sans doute un prototype ou l’un des tous premiers modèles. Pour commercialiser son instrument, Borel privilégie un partenaire de poids : les établissements Beuscher, qui le suivront jusqu’au milieu des années 1970, période où cesse la fabrication.

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Un public mitigé


Ingénieux et bien réalisé, l’accordina ne rencontre pourtant pas son public, contrairement à ce que l’on pourrait croire aujourd’hui. Borel et Beuscher en sont sans doute en partie responsables, puisqu’ils le présentent avant tout comme un « accordéon de voyage », un instrument d’entraînement. Un « gadget », finalement. Deuxième erreur : ils ciblent un public d’accordéonistes, excluant totalement le domaine de l’instrument à vent. Aussi bizarre que cela paraisse, ce malentendu persiste encore aujourd’hui, comme en témoigne Francis Jauvain, saxophoniste, accordéoniste et « accordiniste » chevronné :  « Je considère l’accordina comme un instrument à vent, c’est même l’un des rares qui permettent la polyphonie. Pris comme tel, il requiert une technique spécifique. Par exemple, il n’accepte que l’air soufflé, l’aspiration doit donc être rythmique pour s’intégrer à la phrase musicale ». Une chose difficilement concevable si on l’envisage comme un ersatz d’accordéon. Jauvain poursuit sa recherche autour de l’accordina, afin de « le développer comme on le ferait pour un instrument propre, unique » . Il conclut qu’il y a un besoin vital pour l’accordina qu’il ne soit plus « cantonné aux accordéonistes ».


Victime de cette réception, l’accordina n’a laissé que peu de traces : on ne lui connaÎt comme enregistrement « ancien » que le 45 tours de André Astier. Aujourd’hui, par contre, Richard Galliano, Ludovic Beier, Francis Jauvain, Daniel Mille, Jean-Louis Matinier, Roland Romanelli ou encore Julien Labro l’emploient pour explorer de nombreux univers musicaux : jazz, chanson française (Georges Moustaki, en tournée, a préféré l’accordina de Jauvain au traditionnel accordéon), musiques de films (Romanelli a enregistré avec l’Orchestre Symphonique de Londres la B.O. du prochain film d’Alexandre Arcady), contemporain (Jauvain a conçu pour la chorégraphe Régine Chapirot cinq créations, qui font monter l’accordina sur scène dans des sessions improvisées avec les danseurs).
 


Les différents modèles


Au cours de son histoire, l’accordina Borel a connu plusieurs formes. Le plus drôle est qu’il semble même n’avoir jamais connu l’aspect sous lequel son brevet le présente : comme l’explique Laurent Jarry, premier facteur à l’avoir refabriqué, «  le brevet de l’instrument même est assez différent de ce que Borel a réalisé : les anches ne sont pas prévues pour être mono-chassis mais elles sont montées sur des plaques. Un mécanisme est prévu en bas de l’instrument pour actionner les deux volets latéraux par une sorte de bouton ».

Les plus importantes évolutions que subit l’accordina surviennent à la fin des années 1950.  « A partir de 1959, raconte Jarry, apparaît, ce que Beuscher appelle le "nouveau modèle 1959". On y voit des changements, notamment dans le bec de l’instrument. Ce n’est plus une pièce métallique triangulaire soudée sur le porte-vent et "fendue", mais un bec un peu plus long où vient s’intégrer une pièce en plastique. » Les musiques changent aussi, probablement dans la même période : les anches laiton des premiers modèles sont alors remplacées par d’autres en  acier inox. L’accordina a aussi connu d’autres fabrications, comme les modèles « or » et « argent » réalisés par Paolo Soprani sans doute durant la deuxième moitié des années 1960. Longtemps resté introuvable, l’instrument est aujourd’hui fabriqué par Laurent Jarry depuis 1995 et par Marcel Dreux depuis 2000. (Blaise Goldenstein)

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